
Dans les discours d’agence, le référencement est souvent présenté comme un chantier qu’on planifie, qu’on exécute, puis qu’on entretient. Dans la réalité, c’est différent !
La fausse promesse du SEO propre
Dès que le site web produit du contenu de manière permanente, dès qu’il y a plusieurs mains sur le clavier (marketing, produit, tech, contenus…), l’idée d’un site propre devient une illusion. Il n’existe pas de structure SEO stable dans un environnement vivant. Il existe des arbitrages, des compromis, des corrections à la volée. Le rôle du consultant n’est pas de maintenir une hypothétique pureté technique : c’est de gérer la dette, sans casser ce qui fonctionne.
Ce qu’on appelle dette SEO (et pourquoi elle est inévitable)
La dette SEO, ce sont tous les petits déséquilibres qu’un site accumule au fil de son activité : structures d’URL incohérentes, contenus redondants, balisages dégradés, maillage désorganisé. Rien de catastrophique en soi, mais une superposition de frictions qui, à terme, freine l’exploration, l’indexation ou la transmission de popularité.
C’est le produit de l’activité normale d’un site : un article dupliqué pour une landing temporaire, une catégorie ajoutée sans réflexion sur l’arborescence, une mise à jour CMS qui modifie les balises Hn par défaut. Aucune stratégie SEO ne peut anticiper 100 % des dérives. La question n’est pas d’éviter la dette, mais de l’encadrer.
Exemples concrets de dette SEO
L’arborescence déformée par des logiques business
Exemple classique : une catégorie créée pour un nouveau segment client ou une opération commerciale, sans prise en compte de la hiérarchie existante. Résultat : un niveau supplémentaire mal rattaché, ou une dilution du silo thématique. Sur le moment, ça fonctionne. Trois mois plus tard, la profondeur de clics a doublé, la page n’est plus explorée.
Les contenus jumeaux, triplés, quadruplés…
Le marketing gère un blog, le produit crée une base de connaissance, le SEO produit des guides. Même thématique, même angles, souvent même wording. Ajoutez à ça des templates qui réutilisent les mêmes balises title ou des introductions standardisées : Google commence à filtrer ou ignorer certaines pages.
La génération spontanée de balises
Vous aviez un site bien structuré, avec un H1 par page, un balisage propre. Puis le CMS a évolué. Maintenant, les modules injectent des H2 par défaut, les héritages CSS modifient les niveaux de titres, et vos données structurées sont devenues partiellement invalides. Pas dramatique, mais à l’échelle d’un site de plusieurs milliers de pages, l’impact s’additionne.
Pourquoi tout nettoyer est souvent une erreur
Quand un site devient désorganisé, l’instinct, c’est de vouloir faire le ménage. Créer une nouvelle arborescence, purger les contenus redondants, réviser le balisage. Le problème ? Un site en prod ne se gère pas comme un environnement de test. Chaque correction technique peut avoir un effet de bord : perte de signaux historiques, déclassement temporaire, perte de crawl budget mal anticipée.
On croit réparer, on casse des équilibres invisibles. Ce n’est pas de la peur : c’est du recul. Un contenu mal maillé peut encore ranker. Un slug moche peut être premier sur la requête. Le nettoyage ne vaut que s’il préserve les points d’accès stratégiques. Et pour les identifier, il faut des données : logs, analytics, search console. Pas de sensations, des faits.
La recommandation : stabiliser au lieu de nettoyer
- Geler les zones stratégiques
Si une page fonctionne, elle ne bouge pas. On la sanctuarise : pas de modif URL, pas de mise à jour risquée, pas de déplacement. On ne touche pas à ce qui draine du trafic ou renvoie des conversions (sauf actualisation partielle du contenu). C’est la base. - Identifier les poches de dette active
Ce sont les zones du site qui provoquent des erreurs, des conflits, ou de l’inefficacité observable. Pages zombies, duplications internes, balisage inutilement lourd… on les isole, on les contient, parfois on les masque temporairement. - Renforcer le maillage comme stabilisateur
Un maillage bien pensé absorbe une partie de la dette. Il permet de compenser les structures imparfaites, de réinjecter de la logique dans un site déstructuré, de sauver des pages orphelines. C’est un amortisseur technique.
Documenter, tracer, prioriser
Dans ces contextes, la documentation n’est pas un luxe, c’est un outil de survie. Sans carte du site réelle (pas celle du CMS), sans log des modifs SEO critiques, sans checklist des templates ou modules actifs, on navigue à l’aveugle. Il faut créer une base vivante : pas un audit figé, mais bien une cartographie de la dette SEO.
Ensuite, on priorise : dette bloquante, dette dégradante, dette neutre. Certaines anomalies sont tolérables si elles n’impactent ni le crawl, ni la perception qualité. D’autres doivent être corrigées même si elles ne se voient pas. L’ordre des actions compte.
Enfin, on synchronise avec les équipes techniques : à quel moment on peut caler une réécriture d’URL ? Quel ticket peut être ajouté au sprint sans casser la roadmap ? Le SEO devient une stratégie de tension et de négociation.
On n’élimine pas la dette, on l’encadre
Sur un site vivant, le référencement n’est pas une ligne droite. C’est une discipline de contrôle, de documentation, de pragmatisme. Le consultant ne promet pas un site parfait. Il construit un système qui reste performant malgré l’imperfection. Et c’est ça, la vraie différence entre une stratégie propre en quatre slides et un SEO qui tient dans le réel.

L’auteur : Laurent Peyrat dirige La Mandrette, qu’il a fondé en 2016. Il pratique et enseigne le SEO depuis plus de vingt ans. Titulaire d’un M2 E-business, il donne aussi plusieurs conférences chaque année.